Partie III : À la Poursuite de la Douleur
Chapitre 7 : Appuyer sur la Douleur
Michael, séduisant et charmant, se confie sur sa double vie qui a failli ruiner tout ce qu’il avait construit. Ayant fait fortune dans l’immobilier, sa vie semblait parfaite, mais sa dépendance à la cocaïne et à l’alcool menaçait son mariage. Sa femme lui ayant posé un ultimatum, il choisit la voie de la guérison. L’arrêt des drogues a révélé des émotions négatives longtemps masquées.
C’est alors qu’il découvre les bienfaits inattendus des douches froides, adoptant cette pratique comme un élément clé de sa récupération. Immersion dans l’eau glacée, douleur initiale suivie d’une sensation euphorique, Michael trouve dans cette routine quotidienne un nouvel équilibre émotionnel et une aide précieuse dans son parcours de rétablissement.
L’histoire humaine a longtemps privilégié les bains froids, seuls les privilégiés près des sources chaudes naturelles jouissant de bains chauds. Vincenz Priessnitz, dans les années 1920, a promu l’eau glacée pour guérir divers troubles. De nos jours, l’immersion dans l’eau glacée regagne en popularité pour ses bienfaits physiques et psychologiques. Des études récentes montrent que cette pratique augmente significativement les niveaux de dopamine et de norépinéphrine, influençant positivement l’humeur et la motivation. Chez les animaux, le froid extrême favorise même la croissance neuronale, offrant des perspectives fascinantes pour la santé humaine.
La découverte de Michael sur l’immersion en eau glacée illustre comment la douleur peut conduire au plaisir. La douleur déclenche les mécanismes de régulation homéostatiques du corps, aboutissant à une réponse de plaisir. L’expérience controversée sur des chiens électrocutés dans les années 1960 a démontré que l’exposition répétée à un stimulus douloureux entraînait une adaptation de l’humeur et du rythme cardiaque, transformant progressivement la douleur en plaisir.
Cette idée est également soutenue par les observations de Socrate sur la relation entre douleur et plaisir. Des exemples contemporains, tels que la réaction euphorique après avoir été frappé par la foudre, montrent cette dynamique douleur-plaisir. Finalement, cette dualité est une expérience commune, où le plaisir devient souvent la récompense de la douleur.
La Science de l’Hormésie
L’hormésie est une science étudiant les effets bénéfiques de petites doses de stimuli nocifs ou douloureux comme le froid, la chaleur, ou l’exercice. Edward J. Calabrese, toxicologue américain, décrit l’hormésie comme une réponse adaptative améliorant la fonctionnalité et la tolérance à des défis plus sévères.
Des expériences montrent que des vers soumis à une température plus élevé qu’à la normale, ou des mouches à fruits exposés à des conditions stressantes ont une longévité et une agilité accrues, mais une surexposition diminue ces bénéfices, voir devient contre-productive et toxique.
Des études sur l’exposition à de faibles doses de radiation et sur le jeûne intermittent suggèrent des effets positifs sur la longévité et la résistance aux maladies, bien que ces résultats soient controversés. Aujourd’hui, des pratiques comme le jeûne intermittent sont populaires pour la perte de poids et le bien-être.
L’exercice physique, immédiatement toxique pour les cellules, s’avère pourtant extrêmement bénéfique pour la santé. Il augmente de nombreux neurotransmetteurs liés à l’humeur positive, contribue à la naissance de nouveaux neurones et diminue même la probabilité de dépendance aux drogues. Des études sur des rats montrent que l’accès à une roue de course réduit l’auto-administration de cocaïne, héroïne, méthamphétamine et alcool.
Chez l’homme, une activité physique élevée pendant l’adolescence prédit de faibles niveaux de consommation de drogues. L’exercice aide également les toxicomanes à réduire ou à cesser leur consommation. La dopamine, essentielle aux circuits moteurs, est libérée en réponse à des stimuli environnementaux, liant le mouvement à la motivation. Dans nos sociétés modernes sédentaires, l’activité physique reste cruciale pour le bien-être, avec un impact plus profond et durable sur l’humeur et la santé que n’importe quel médicament.
La poursuite de la douleur, contrairement à celle du plaisir, défie notre tendance naturelle à fuir la douleur. Cela implique une charge cognitive supplémentaire : se rappeler que la douleur précède le plaisir, une réalité facilement oubliée. Ce choix va également à l’encontre des tendances culturelles modernes qui favorisent le confort et la facilité. Ainsi, il est essentiel de conscientiser et d’intégrer volontairement la douleur dans nos vies pour atteindre un équilibre véritable.
La Douleur pour traiter la douleur
L’utilisation de la douleur pour traiter la douleur remonte à Hippocrate, qui écrivait il y a longtemps que la douleur plus forte affaiblit l’autre. L’histoire médicale regorge d’exemples d’utilisation de stimuli douloureux pour traiter des états douloureux. Bien que les thérapies douloureuses aient été largement pratiquées avant 1900, elles ont décliné avec l’avènement de la pharmacothérapie.
Cependant, ces approches connaissent une résurgence récente en raison des limites et des risques de la pharmacothérapie. Des études ont montré que l’application de la douleur peut déclencher la production d’opioïdes naturels par le corps. Par exemple, le blocage des récepteurs opioïdes avec la naltrexone est exploré comme traitement de la douleur chronique, en incitant le corps à produire plus d’opioïdes.
L’électrochoc, une thérapie utilisant l’électricité pour traiter les troubles mentaux, est pratiqué depuis le début des années 1900. En 1938, Ugo Cerletti et Lucino Bini ont effectué le premier traitement d’électroconvulsivothérapie (ECT) sur un patient dont le comportement et la locution était incompréhensible. Malgré les protestations du patient, une deuxième électrochoc a été administré, ce qui a finalement conduit à sa guérison complète. Aujourd’hui, l’ECT est pratiqué de manière plus humaine avec l’utilisation d’anesthésiques et de relaxants musculaires. Bien que la douleur ne soit plus le facteur médiateur, l’ECT induit des changements cérébraux contribuant aux effets thérapeutiques par divers mécanismes.
Un patient nommé David, précédemment hospitalisé pour une addiction aux stimulants, a suivi une thérapie d’exposition pour surmonter sa peur de parler à des étrangers. Cette thérapie l’a progressivement exposé à des situations inconfortables, comme faire de petites conversations avec ses collègues. Il quantifiait ses niveaux de détresse avant, pendant et après ces interactions, une pratique courante dans la Silicon Valley. L’anxiété de David a diminué avec le temps, et il s’est même lancé des défis en parlant à des inconnus en dehors du travail. En affrontant ses peurs, il a transformé sa vie, devenant plus à l’aise dans les situations sociales et appréciant les interactions avec des gens qu’il ne reverrait jamais.
Alex Honnold, célèbre grimpeur d’El Capitan sans corde, a montré une activation amygdalienne faible, suggérant une tolérance à la peur acquise par l’entraînement. Contrairement à l’interprétation initiale, il n’est pas né avec moins de peur innée. David a développé des mécanismes similaires pour tolérer l’anxiété. Cette approche de « la peur pour traiter la peur » est contre-intuitive mais efficace.
Addict à la douleur
Michael passe des douches froides à une exposition extrême au froid. Cherchant une sensation de “montée”, il a utilisé un congélateur rempli d’eau glacée et un surmatelas hydraulique à basse température pour dormir. Ce comportement commençait à ressembler à une dépendance.
En avril 2019, le professeur Alan Rosenwasser de l’Université du Maine a contacté l’auteure pour obtenir une copie d’un chapitre qu’elle avait récemment publié sur le rôle de l’exercice dans le traitement de l’addiction. Il a ensuite soulevé la question de savoir si les roues de course utilisées par les souris étaient un modèle d’exercice volontaire ou d’exercice pathologique (addiction à l’exercice). Rosenwasser explique que les roues de course stimulent les mêmes voies neurologiques que l’usage compulsif de drogues. En bref, les roues de course sont une forme de drogue pour les rongeurs, ce qui a des implications sur leur comportement.
Les sports extrêmes, tels que le saut en parachute, le kitesurf, le deltaplane, etc., provoquent une forte dose de douleur et de peur, libérant de la dopamine dans le cerveau, ce qui peut devenir addictif. Les scientifiques ont montré que le stress seul peut augmenter la libération de dopamine dans le cerveau, entraînant des changements similaires à ceux observés avec des drogues addictives. La répétition de ces expériences peut conduire à l’anédonie, une absence de joie, dans la vie quotidienne. De plus, la technologie moderne a permis de pousser les limites de la douleur humaine dans ces activités, ce qui peut également augmenter le risque d’addiction.
Trop de douleur, sous forme excessive, peut conduire à la dépendance à la douleur. Anna Lembke a traité des patients qui sont devenus dépendants de la course ou de l’automutilation pour ressentir une montée d’adrénaline. En les abordant comme des patients dépendants, elle a pu les aider à s’en sortir.
Addict au travail
Dans la Silicon Valley, le “workaholic”, ou accro au travail, est une figure valorisée, avec des semaines de 100 heures et une disponibilité constante. En 2019, pour rééquilibrer vie professionnelle et familiale, l’auteur a réduit ses déplacements, mais a rencontré de la résistance face à cette décision. Les incitations invisibles dominent le travail de bureau, avec des bonus, des options d’achat d’actions et des promotions. En médecine, la productivité est mesurée en termes de patients vus, de prescriptions écrites et de procédures effectuées. À l’inverse, les emplois manuels, de plus en plus mécanisés, offrent peu d’autonomie et de sens.
Cette dynamique conduit à un état d’esprit de “travailler dur pour profiter ensuite”, où la surconsommation compulsive devient la récompense d’une journée de labeur. La différence entre les travailleurs peu et hautement qualifiés s’accentue, ces derniers travaillant plus pour des récompenses plus élevées. Le “flow” de la concentration profonde, bien que gratifiant, peut devenir un piège, nous éloignant des connexions intimes avec les amis et la famille.
Le Verdict sur la douleur
Michael a pratiqué l’immersion dans l’eau glacée pendant deux à trois ans, chaque matin, avant de réduire la fréquence à trois fois par semaine. Ce rituel est devenu une activité familiale et sociale, remplaçant ses anciennes habitudes de consommation d’alcool et de drogues. Avec ses amis, ils organisent des fêtes autour d’un bassin d’eau froide, alternant avec un jacuzzi, et s’encouragent mutuellement. Cette pratique s’est étendue à son cercle d’amis, avec un groupe de femmes qui s’immergent régulièrement dans la baie. Michael trouve dans l’eau glacée une manière de se sentir vivant et bien, une alternative saine à son ancien mode de vie.
Si nous consommons trop de douleur, ou sous une forme trop puissante, nous risquons une surconsommation compulsive et destructive. Mais si nous consommons la juste quantité, “en inhibant une grande douleur avec une petite douleur”, nous découvrons le chemin de la guérison hormétique, et peut-être même l’occasionnelle “crise de joie”.